A la fois principe et immanence
Comme elles sont contraires aux prérogatives de l’art ces théories variant selon la dernière tendance discursive, la dernière proposition culturelle abusivement collective, la dernière manière de se rendre à la pensée unique, la dernière restriction du marché, la dernière reconnaissance sociale, la dernière éducation artistique.
Que l’œuvre peinte soit théorisante à soi-même nous l’entendons (comme d’un état naturel, moyen qui s’invente ses fins) mais nous entendons aussi hélas qu’elle soit théorisante à qui n’en perçoit pas l’immédiat principe. D’où une avalanche conceptuelle d’erreurs de jugement. A qui ne reçoit pas de l’œuvre peinte l’immédiate jouissance il reste de théoriser son doute légitimement, mais est-il encore légitime de l’établir en dogme, en pensée régnante ?
Que les terminaisons en « isme » servent l’histoire et nous les tiendrons pour vraies en leur historicité : aux dernières instances nous ne serions libres que d’interpréter le présent selon les critères inouïs des nouvelles paniques humaines, à l’artiste de s’en porter garant (le vieil adage qui fait de l’artiste le témoin de son temps est tenace, il est même de ce temps le seul critère de valeur). Les données nouvelles de vivre n’ayant pas d’antériorité technologique sans antécédent l’artiste aurait pour nouveau maître la dernière terminologie du désespoir, et serait, au besoin, missionné bouffon pour la tourner en dérision sur commande…
La création contrainte à la seule valeur ambiante ne sera pas moins douteuse que ne le sont les valeurs passéistes en leur inertie et il n’est pas sans lien qu’une pensée despotique se dressa à la seule faveur restrictive de l’unique présent dans un monde unique. Car l’unique présent n’est pas présence, « instant du monde » et moins encore l’ici et le maintenant perpétuel qui se vérifie en contradiction dans la coulée du temporel et dont l’œuvre peinte recèle la plus probable stabilité de compréhension.
- En outre parce que connaissance de soi ne saurait s’établir sans s’étendre extérieurement à soi (conscience qu’une conscience a d’elle-même) les principes artistiques infondés sont encore les principes qui n’autorisent l’œuvre que par cette réciprocité : cette distanciation fausse dans l’étendue duplice.
La première peinture au monde est probablement une main humaine au voisinage d’animaux magiques, en creux, en négatif dans la cécité des profondeurs géologiques. Si le drame humain apposait là en questionnement majeur devant l’autorité muette d’une paroi s’en trouve bien dit dans l’aujourd’hui encore c’est que la main oeuvrant qui a détouré l’autre demeure une énigme d’intention, sinon d’appartenance ou d’altérité… rien de ce temps-là ne se précise et aucune vérification ne serait un progrès pour l’art. Cro-Magnon présumé, immensément poétique à notre temps, soit bienvenu en te nommant aux portes de notre enfer où le temps porte le nom des choses et des êtres devenus tels des choses. Et quoi ! Devons-nous héler par-dessus l’abîme cette écholalie mondiale à l’amplitude informative débilitante ? Il est dans l’évènementiel du peintre de faire reculer le langage jusqu’aux « silences intérieurs ». Si une forme soustraite du tout vacant en son unicité visible est notoirement un concept son abstraction se devine d’une autre économie. Les mots de la communication collective ont leur sens, il se perd quand aucune généralité ne suggère d’être définie.
Daniel Juré, 2008
N B : Essence et existence, imaginaire et réel, visible et invisible la peinture brouille toutes nos catégories en déployant son univers onirique d’essences charnelles, de ressemblances efficaces de significations muettes.
Merleau-Ponty : L’œil et l’Esprit