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Séance tenante 

 

 

 

Daniel Juré, « entomolittéralogiste »

« Séance tenante » présente 32 portraits d’écrivains peints par Daniel Juré entre 2006 et 2008.

Une façon de parler autrement de littérature.

 

Daniel Jure se souvient. Gamin, il découvrait les traits des grands écrivains grâce aux reproductions de leurs portraits dans le dictionnaire ! « On ne peut pas séparer Artaud du visage d’Artaud. C’est comme Cendrars, bloqué là dans une photo. Et si on entend la voix de Malraux aujourd’hui, surgit aussi un personnage physique. » Et de citer Érasme par Holbein, Mme de La Fayette par Desrochers, Rousseau par Quentin de La Tour, Chateaubriand par Girodet, Michelet par Couture, etc. « Paulhan par Picasso, cela manque, non ? » Entreprenant de peindre les écrivains de son temps, Daniel Juré dit d’ailleurs s’être retrouvé face à son enfance tandis qu’il en rencontrait certains.

Grand lecteur, peintre fasciné par l’art du portrait – « un désir de la figure de l’autre » –, il a posé son chevalet devant ceux qui ont acquiescé à sa demande :

Michel Butor, Jean Lacouture, Yvon Le Men, Bernard Noël, Michel Chaillou, Gabriel Matzneff, Michel Ragon, Jean-Luc Steinmetz. Certains sont venus à lui, dans son atelier à Reviers : Abdourahman Waberi, Adrien Goetz, Belinda Cannone. Pour quelques-uns, la séance de pose s’est déroulée dans le sous-sol d’une librairie parisienne, un local prêté par un ami. Ils ne souhaitaient pas poser chez eux. D’autres, enfin, ont décliné l’offre. « Ils ont peur de se montrer, de se voir. Ils manquent de simplicité. Ils ont peur de l’intimité. » Daniel Juré a ainsi promené son atelier ambulant aux quatre coins du pays, entre 2006 et 2008, faisant oeuvre d’« entomolittéralogiste », se plaît-il à dire. « S’acharner à peindre des écrivains ? Il y a quelque chose de la furie du collectionneur », explique-t-il aujourd’hui. « Ça m’a fait sortir de mon atelier, aller dans le monde. Avec Katia [Katia Boyadjian, photographe, est la compagne de Daniel Juré], nous avons une vie très retirée, une vie où les oeuvres comptent et ont remplacé le contact direct avec l’humanité ! Je suis davantage l’ami de Bounine, que je ne rencontrerai jamais, que de mon voisin, que je côtoie. » Pour chaque rencontre, le processus est le même : le modèle pose deux heures. De préférence dans son univers personnel.

Aujourd’hui, ces trente-deux portraits constituent une collection inédite et troublante. Car plus qu’un visage, Daniel Juré a su saisir une posture, une émotion, un regard : l’air renfrogné de Michel Butor, la fantaisie de Jude Stéfan, la crainte de celle qui a souhaité rester anonyme… Chaque  portrait semble en  dire  davantage  sur  l’écrivain  qu’un long entretien. « Je peux faire semblant de travailler pendant le temps de pause ! Je peux dessiner trois quarts d’heure, tout effacer et faire le portrait en dix minutes, à la fin, parce que le modèle a donné quelque chose à cet instant-là. C’est à la fois une lutte et une concentration. Pour un portrait, le peintre et le modèle sont à un battement de cils de l’autre. Comme dans l’amour, c’est l’instant où on se laisse voir», confie Daniel Juré. « Ma peinture est une peinture de pauvre. Elle est jetée là. C’est un portrait direct. Sans dessin avant. L’improvisation caractérise le portrait. D’où l’idée d’être au premier jet. La peinture doit être immédiate. Il y a de l’arbitraire là-dedans. Mais admettre l’arbitraire chez l’autre, c’est un acte d’amour. On se soumet à la vision de l’autre. » À chaque rencontre, l’anxiété se mêle pour Daniel Juré à la nécessité de faire le vide. Pour mieux laisser advenir ce qui donnera au portrait toute sa densité. « Le portrait, c’est l’arrêt du temps. Le portrait n’est pas rationnel. On voit à tort la nécessité de la peinture comme son origine. La peinture est tout sauf ce qu’on en dit. L’oeuvre vit, magnétise, garde l’instant qui l’a conçue. Elle garde l’impact de la création. Quelqu’un lui a donné un souffle, et elle se perpétue : ça, c’est un chef-d’oeuvre. Devant une icône, là où des milliers de gens viennent prier, je crois que la force de l’esprit demeure. Il y a un moment où l’oeuvre prend possession d’elle-même et échappe au peintre et au modèle. » Sans  doute est-ce cela que certains ont vu dans leur portrait, une fois achevé. « “Emportez vite ce portrait. Je me trouve  un  être dans l’effroi. C’est trop moi !” m’a  dit  Michel  Chaillou », se souvient Daniel Juré. Au sujet de son portrait, Gabriel Matzneff écrira plus tard dans son journal (éditions Léo Scheer) : « Juré a réussi à capter la part mélancolique, schizophrénique, de mon âme, oui, cela est certain. »

Nathalie Colleville 

Livre / Echange

Centre Régional des Lettres

 de Basse-Normandie 2011

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