Peindre en Normandie
« Être au monde... mais le monde n'a pas d'être et les images en dérive vont là où l'art de voir a fixé son but, loin très loin en amont sur l'autre rive. » Dits à propos de l'image photographique de celle qui le prend en modèle tandis que lui la dresse inlassablement sur la toile, ces mots révèlent une vision du double et de la représentation enracinée dans la simple réalité des échanges de vie, une manière en somme de cultiver quelques arpents de vérité entre le miroir et l’ombre du modèle.
Hiératiques, comme tirées par fragments d'un théâtre intime, les figures et les objets de Daniel Juré paraissent dans leur forme originelle portés par la ligne, presque calligraphiés. Paysages par traits, natures mortes, la tradition du sujet s'affiche mais cela n'entrave pas ce désir de synthèse que Nicolas de Staël a si bien porté. La Normandie a, depuis le début du XIXè siècle, conduit les peintres à choisir entre les deux manières qui explorent la physique de ses espaces naturels : le geste expressif qui charge la pâte sur la toile, ou celui qui laisse glisser des voiles de lumières grises et nacrées. Daniel Juré appartient à cette culture-là. La peinture comme la mer se retire et laisse ses dessins sur le grain de la toile.
Alain Tapié
Conservateur en chef du musée de Caen
Catalogue d’exposition Peindre en Normandie
Musée des Beaux-Arts de Caen 1996,
Musée des Beaux-Arts de Séoul, Pusan 1999